Parution dans le magazine « Vie Sociale »

visuel_Mag_VieSociale

Partagez cet article

La vie amoureuse au cœur du respect de la dignité des personnes accompagnées (extrait de l’article).

La question de la dignité des personnes accompagnées

On pourrait se référer ici à l’ensemble des textes législatifs européens ou français, les multiples (récentes et récurrentes) recommandations onusiennes, les circulaires ministérielles (5 juillet 2021 pour la dernière en date) qui promeuvent la reconnaissance des droits des personnes accueillies dans le secteur médicosocial au regard de la sexualité et de leurs droits de citoyennes ou de citoyens à part entière dans ce domaine. Malgré l’existence de tous ces textes (qui nécessiteraient plusieurs pages pour être cités ici en référence), nous sommes amenés à constater chaque jour, lors de nos interventions en institutions, que les problèmes persistent à des niveaux quelquefois étonnants. Ce ne sont pas, non plus, les chartes et autres engagements officiels dans les projets associatifs et/ou les projets d’établissements (même si ils ont leur place en tant que références collectives) qui garantissent, loin s’en faut, ces droits. Cela montre, à notre sens, que dans ce domaine, même si toutes ces références ne sont pas inutiles (et trop souvent ignorées), ce ne sont pas elles qui assurent la qualité de l’accompagnement.

Voici quelques exemples tirés de notre pratique récente (depuis dix années, il y aurait matière à écrire un livre noir des pratiques qui bafouent la dignité de personnes) :

  • Des professionnels réalisent (ils le savaient mais ne s’étaient jamais posé la question) que dans leur établissement (un FAM) non seulement des caméras filment en permanence les allées et venues dans les couloirs mais que les éducateurs disposent, dans une pièce qui leur est réservée, d’écrans de contrôle allumés en permanence. C’est lorsqu’il est demandé aux personnes accompagnées leur avis sur cet état de fait, que tout le monde (équipe incluse) réalise que ce dispositif (par ailleurs illégal concernant le droit du travail) ne répond pas du tout à une intention de protection mais vient percuter la notion de respect de l’intimité puisque chaque entrée dans une chambre (la sienne ou une autre) est filmée. Il a fallu que soit abordée lors d’une formation à la sexualité, la question de l’intimité, pour que la question émerge.
  • Dans un centre d’accueil de jour, constatant qu’aucun lieu n’a été pensé pour permettre une intimité momentanée (pratique masturbatoire de personnes avec autisme), l’équipe réalise que les seules toilettes disponibles ne ferment plus depuis qu’une personne accueillie s’était retrouvée enfermée. Le verrou avait tout simplement été retiré depuis plus d’un an.
  • Dans un IEM géré par une association de parents, un résident offre du parfum à une jeune femme de 35 ans accueillie en journée. Les parents de la jeune femme exigent dès le lendemain que le parfum soit remis au jeune homme et qu’il cesse ce type de comportement, injonction à laquelle les professionnels obtempèrent. Lors de la formation, seuls quelques professionnels s’en offusquent.
  • Dans un centre recevant des adolescents IMC, la règle énoncée est que les jeunes ont interdiction de s’embrasser dans le parc (immense parc arboré) au prétexte que cela « pourrait rendre malheureux ceux qui n’ont pas de relations amoureuses ». La formation met au jour que personne ne sait d’où provient cette règle, non écrite au demeurant, et pourtant énoncée comme devant s’appliquer.
  • Trois jeunes (deux filles et un garçon) sont logés en appartement sous un régime de protection jeunes majeurs à leur sortie d’un centre d’accueil social. Deux d’entre eux, qui avaient déjà une relation amoureuse (connue de tous) dans le centre, sont dénoncés par la troisième pour entretenir des relations sexuelles dans l’appartement. La direction convoque les deux jeunes majeurs pour faute grave. Le garçon quitte le service de lui-même et perd volontairement son statut jeune majeur mais la jeune femme est placée pendant une semaine dans une « chambre de réflexion » isolée, avec interdiction aux membres de l’équipe venant lui apporter ses repas de converser avec elle. C’est lors d’une formation, quelques mois plus tard, qu’une stagiaire relate ces faits qui l’avaient choquée.
  • Dans une MAS pour adultes avec handicap psychique, une résidente relate qu’ayant demandé à accéder à un ordinateur pour s’inscrire sur un site de rencontre, elle s’est vue essuyer un refus de sa référente car « cela est trop dangereux pour elle ! » et la réponse associative quand au refus d’accès à internet a été celle de la responsabilité de l’établissement en cas de navigation sur des sites pédo-pornographiques.
  • Un établissement, au mépris de la loi, refuse l’accueil de jeunes femmes sans contraception. Dans le même ordre, une association couvre la stérilisation non consentie de jeunes femmes avec déficience mentales, avec l’accord des parents au mépris des lois en vigueur.

Même si ces exemples, que l’on pourrait qualifier d’exceptions (ce qu’ils ne sont pas vraiment), ne concernent pas tous les établissements, il n’en demeure pas moins que, dès que la question de la vie amoureuse et sexuelle est abordée, il y a une mise en évidences de pratiques qui vont le plus souvent dans le sens d’une infantilisation des personnes, d’un déni de leurs droits et de leur droit d’accès au plaisir, d’une surprotection  continuelle, voire d’une surveillance quelquefois quasi pénitentiaire. Comme le dit si bien S., une jeune femme avec handicap moteur vivant en institution, « Pourquoi vouloir nous protéger des déboires amoureux suite à une rupture, tout le monde connaît ça, nous avons le droit de nous tromper et d’en souffrir ! C’est la vie ! Et nous voulons vivre comme tout le monde, les mêmes choses que tout le monde.

La dignité ne consiste pas seulement à reconnaître l’autre dans sa totalité d’être humain (et donc comme être sexué et être sexuel) mais aussi à le reconnaître non pas sous le seul angle de sa « déficience », de sa vulnérabilité, de son handicap, de ses difficultés, de sa différence mais bien sous l’angle de sa particularité, de son unicité, de sa richesse, de son potentiel, finalement de son humanité qui ne peut et ne doit jamais être relativisée.

Mais il faut reconnaître que cela n’est pas si facile pour les professionnels de l’accompagnement.

Nous sommes passés, en 15 ans environ, d’une quasi absence de prise en compte, accompagnée de restrictions réglementaires (relations sexuelles interdites), à une injonction presque généralisée à intégrer cette dimension des personnes dans leur travail d’accompagnement et ceci en l’absence quasi générale de formation lors de leurs parcours initiaux. De plus la pression qui est leur est faite de veiller à l’absence d’agression de type sexuelle, l’obligation répétée qu’il leur est faite de s’assurer du consentement des personnes (nous y reviendrons) vient percuter un désir de liberté revendiquée (quand elles le peuvent et quand on les écoute) par les personnes elles-mêmes, vivant comme une grande injustice toutes les restrictions qu’elles ressentent comme un déni de droit. En effet, autoriser les relations amoureuse et/ou sexuelles (puisqu’il devient interdit de les interdire) quand par ailleurs les personnes n’ont que très peu d’occasion de faire des rencontres à l’extérieur de leur lieu de vie, les contraint, de fait, à trouver, dans les lieux d’hébergement, des partenaires uniquement parmi les autres résidents.

Il faut ajouter que lorsque les directions mettent en place des formations pour leurs salariés, il est rare qu’elle y participent elles-mêmes et s’y impliquent réellement, ce qui crée, une fois le travail de changement de pratiques amorcé, des hiatus, voir des conflits internes, sur les accompagnements à mettre en œuvre. Difficulté augmentée quand des directions confient à la psychologue le soin de chapeauter les équipes sur ces questions, alors que rien, dans leur formation initiale, ne leur a permis d’acquérir des compétences dans ce domaine et que cela tend à considérer la sexualité comme relevant de troubles psychologiques.

De plus, on se rend compte très souvent, en analysant les situations, liées à la sexualité que les réalités institutionnelles, les contraintes collectives, sont de fait des freins puissants pour que les personnes puissent exercer leurs droits, ou plus simplement vivre leur vie. Pour ne prendre qu’un seul exemple, lors d’une séance collective entre professionnels et résidents, un jeune homme avec légère déficience mentale montre que l’obligation qui est faite aux résidents, libres de circuler hors du centre dans la journée, de rentrer au centre au plus tard à 18 heures, les prive de beaucoup de possibilités de rencontres avec des personnes extérieures à l’établissement puisque c’est à partir de cette heure que les lieux de rencontre, cafés par exemple, se remplissent.

Enfin, la sexualité relevant, dans notre culture, comme dans la plupart, du domaine de l’intime on place les professionnels dans une obligation d’intrusion dans cette intimité des personnes qu’elles accompagnent quand elles ne se sentent pas tenues, de fait, règlementairement ou par conviction, de partager avec leurs collègues tous les faits et gestes qui relèvent de la vie sexuelle des résidents dans le cadre de l’hébergement. De plus, devant l’impérieuse nécessité de combattre les violences sexuelles, il est demandé impérativement aux professionnels, de signaler tous les cas ou suspicions d’agression sexuelle.

On voit donc que toutes ces contraintes, dont certaines sont contradictoires, peuvent rendre difficile l’accompagnement au quotidien alors même que de nombreux professionnels, bien plus ouverts à ces questions que ne l’étaient leurs aînés, expriment leur désir de mieux répondre aux demandes des personnes.

Ces publications pourraient également vous intéresser...