Le consentement : pourquoi aborder cette question ?
La réalité des violences sexuelles en général et celles très majoritairement subies par les femmes est, fort heureusement, de plus en plus révélée. Je vous recommande au passage la lecture du livre de Denis Mukwabe (prix Nobel de la paix) La force des femmes. On ne peut donc plus ignorer de nos jours cet inacceptable et bien réel état de fait anthropologique qui perdure depuis des dizaines de milliers d’années à savoir la coercition masculine et son lot d’irrespect, de harcèlements, d’agressions, de viols et de meurtres.
On sait par ailleurs que les femmes en situation de handicap sont encore, plus souvent que les autres, victimes d’agressions sexuelles.
Or, on entend partout, de nos jours, que la question qui doit être traitée prioritairement est celle du consentement.
Il faut toujours se méfier des idées qui paraissent simples et évidentes et je vais donc tenter de montrer qu’il s’agit peut-être d’une fausse bonne idée et que c’est ailleurs que nous devrions porter nos efforts pour tenter de faire diminuer cette situation insupportable.
Rappelons que la notion de « consentement » dans les relations sexuelles vient des mouvements féministes américains de 1980.
Apparu en France dans les années 2000, le terme est donc devenu, aujourd’hui, la pierre d’achoppement, une sorte de Graal, de toutes actions désireuses de lutter contre les violences sexuelles, tant et si bien qu’on ne peut lire un article, assister à une conférence ou voir une interview sur la question des violences sans que la notion de consentement soit mise en avant comme étant « la solution ». On entend donc partout que la réponse à cette abomination bien réelle est celle d’une éducation au consentement.
Comment se fait-il que (fort heureusement) de très nombreux hommes qui n’avaient jamais entendu parler de consentement avant que ce terme n’émerge de nos jours et qui n’avaient jamais reçu une éducation spécifique au consentement n’ont jamais envisagé leurs relations avec les femmes sous le sceau de la contrainte, de la violence ou de la domination ? Pensez-vous vraiment que les pères, les beaux-pères, les oncles, les frères etc. qui abusent incestueusement des filles arrêteraient leurs crimes si on leur apprenait ce que recouvre la notion de consentement ? On peut en douter ! On peut même penser qu’ils la connaissent en fait très bien…
On entend aussi souvent que la responsabilité des professionnels(elles) serait engagée quant au consentement des personnes accompagnées en ce qui concerne leur vie sexuelle. Les professionnels seraient tenus de s’assurer que les relations sexuelles des personnes qu’ils accompagnent sont consentie et, dans le cas contraire, tenus de signaler et de protéger les éventuelles « victimes ». Quand on en parle avec les professionnels(elles) on réalise vite que ce n’est pas une injonction si facile à mettre en œuvre pour tout un tas de raison que nous allons étudier ensemble.
Alors qu’en est-il ?
Avant d’aller plus avant il est primordial de savoir de quoi l’on parle quand on parle de « consentement sexuel ». Concept qui comprend donc deux termes.
Et tout d’abord, il n’est pas inutile de revenir sur la notion de sexe et de sexualité, termes qu’on utilise tous les jours sans prendre le temps de définir de quoi on parle vraiment.
Je rappelle au passage l’étymologie du mot « SEXE » : SECARE (couper en latin) Le sexe, au lieu de rassembler commence donc par diviser (l’humanité en deux sexes).
Déjà, en 1860, Darwin, le père de la théorie de l’évolution des espèces, disait : « il n’y a pas de plus grand mystère que l’existence des sexes en particulier depuis la découverte de la parthénogenèse. » (ex : les pucerons, poissons, Condor en Californie)
Pierre-Henri Gouyon, éminent biologiste français de l’évolution, spécialiste de la sexualité (Les origines de la sexualité) nous raconte que concernant la sexualité humaine, les biologistes n’y comprennent rien (parce qu’ils en savent beaucoup). Il évoque l’incroyable diversité dans la nature des modes de sexualités et de la question toujours posée de l’intérêt biologique de comportements aussi dispendieux en matière de comportement sexuels (les combats entre mâles, les bois du Cerf, les plumes du paon, les voitures de sport des dragueurs…)
Faisons un parallèle avec la nourriture. (Il faut quelquefois faire un détour pour mieux comprendre)
L’individu humain mange d’abord et avant tout pour se nourrir et donc survivre. Si on ne mange pas du tout, on meurt. C’est la fonction biologique de la nourriture. Mais on sait très bien que la notion de plaisir entre tout de suite en jeu. Si, chez tous les animaux, homme y compris, le striatum (partie du cerveau le plus ancien où se fabrique la dopamine, hormone du plaisir) ne fonctionne plus (suite à un AVC), alors ils perdent l’appétit et arrêtent de se nourrir. Et peuvent en mourir.
Mais du fait d’une recherche continuelle de plaisir (car le striatum, lui, n’est jamais rassasié), on peut aussi manger sans nécessité (il y a plus de morts par obésité que par malnutrition dans le monde – Organisation mondiale de la santé) – si le plaisir devient la seule finalité on peut aussi en mourir.
Et enfin, se nourrir, revêt également une troisième finalité : la sociabilité, la rencontre. On mange ensemble. On invite rarement les gens chez soi sans leur donner à manger ou à boire. Quand on invite quelqu’un à manger ce n’est pas pour le nourrir, mais pour faire du lien (ces deux fonctions plaisir et relations s’appuient sur une nécessité primaire et vitale). En Chine, comment allez-vous ? se dit « avez-vous mangé ? »
Ainsi en est-il également de la sexualité qui, de nécessité biologique reproductive pour l’espèce (pas pour l’individu), est aussi source de plaisir (franchement, s’il n’y avait pas de plaisir dans le sexe croyez-vous que… ? Qui fait l’amour uniquement pour se reproduire ?) et source de rencontre, même en l’absence de visée reproductive. C’est même la forme la plus aboutie de rencontre entre deux êtres qui partagent la plus précieuse intimité.
Mais comparaison n’est pas raison ! Dans l’activité liée à la nourriture, il n’y a pas à priori de violence, surtout de violence d’un genre sur l’autre !
Par contre, comme le dit Françoise Nourricier, l’homme est le seul animal qui tue les femelles de son groupe. Alors, quand on dit que certains hommes se comportent comme des animaux ! De la même façon, l’inceste n’existe pas en milieu naturel chez les animaux, jamais ! Affirmer que le tabou de l’inceste est le fondement de notre humanité est donc une connerie ! Par contre, le viol (tout du moins une forme violente de coercition sexuelle) existe chez de nombreux animaux : les canards mais aussi les dauphins et des tas d’autres !
Comment se fait-il alors que c’est chez les humains qu’on trouve les comportements les plus violents liés à la sexualité ? Je vous conseille vivement la lecture du livre Le BUG humain de Sébastien Bolher, neuro-biologiste français. C’est cette partie du cerveau (le striatum dont j’ai déjà parlé) qui est en cause. Quand vous voyez une jolie robe sur internet et que vous ne résistez pas à l’envie de l’acheter et de la recevoir dès le lendemain matin, (alors qu’il y en a déjà 12 dans votre placard) c’est votre striatum qui prend le pouvoir. C’est aussi le striatum des hommes qui se réveille à la vue de formes féminines attrayantes qui entraîne le désir de copuler, et pour certains, sans se préoccuper du désir de l’autre, et en l’absence de toute recherche de rencontre ou de relation.
Mais de ce point de vue, hommes et femmes ne sont pas identiques au regard de notre évolution biologique. La sélection naturelle a poussé les mâles humains à se reproduire le plus possible (mortalité infantile énorme chez les chasseurs cueilleurs, nécessité de maintenir la taille du groupe) quand, dans le même temps, elle a poussé les femelles humaines à se consacrer essentiellement à la survie de ses petits. Ne me faites pas dire que nous ne sommes que des animaux biologiques… La culture a une place très importante pour réguler ces réalités. Mais quand, justement, les religions monothéistes ont relégué les femmes à des conditions subalternes, elles n’ont fait que renforcer cette différence. J’en veux pour preuve la récente décision de la cour suprême des USA sur l’avortement. (Accompagnée de l’interdiction de restriction du port d’armes, ce n’est pas par hasard).
Par contre, on a constaté que dans les sociétés traditionnelles matriarcales (qui ont toujours été très minoritaires) il n’y avait aucune agression sexuelle ! (Les Zoés d’Amazonie, les Mosos ou Nâ de chine, nombre de tribus amérindiennes d’Amérique du Nord…) Mais toute notre histoire, à nous, en occident, et depuis très longtemps, est celle du patriarcat.
Cela peut peut-être vous choquer mais on peut voir un véritable parallèle entre la façon dont certains hommes traitent les femmes dans nos sociétés et la façon dont les humains, dans les pays occidentaux (mais pas uniquement), traitent leur frères et soeurs dans la famille du vivant, je veux parler des animaux (animaux sauvages ou d’élevages). Et ceci pour les mêmes raisons : satisfaire la demande de cette partie de notre cerveau la plus ancienne, celle qui nous procure du plaisir sans aucun mécanisme de régulation. Car le stratium n’est jamais satisfait ! Et l’on comprend pourquoi : dans une société de pénurie et d’aléatoires, si vous trouvez de la nourriture votre striatum vous pousse à en consommer le plus possible (on ne sait pas ce demain réserve) idem pour le sexe.
Enfin, si l’on a raison de condamner des comportements sexuels masculins qui considèrent les femmes comme un simple objet de plaisir, alors qu’en est-il de ces dizaines, ces centaine, ces milliers de jeunes filles et de jeunes femmes (fort jolies d’ailleurs) les plus déshabillées possibles, sur TikTok, qui stimulent ces comportements (la recherche de dopamine) en bougeant en mimant des postures sexuelles sans équivoque pour obtenir le plus de likes possibles ?
Pour clore cette approche de la sexualité : on entrevoit (à peine ici, il faudrait plusieurs jours pour épuiser le sujet) toute la complexité de la sexualité humaine.
On peut donc dire, finalement, de la sexualité humaine, qu’elle est 100% biologique (elle répond aux besoins de l’espèce) mais aussi 100% comportementale (elle répond au plaisir individuel qui varie d’un individu à l’autre) et 100% culturelle (elle varie d’un groupe à l’autre, d’une ethnie à l’autre).
Chez les Baruyas de Nouvelle-Guinée (étudiés pendant 7 ans par Maurice Godelier), on devient un homme en avalant le sperme des autres garçon plus âgés pubères avant qu’ils ne se marient en pratiquant des fellations. Et ne pensez pas que ce sont des sauvages ! Imaginez ce que penseraient de nous des extra-terrestres en réalisant qu’une femme sur cinq, dans le monde, fait l’objet, au moins une fois dans sa vie, d’une agression sexuelle ? (Source ONU)
Bref, la sexualité : ce n’est pas simple du tout ! Sauf pour les ignorants ou les idéologues.
Venons-en au terme « consentement » !
Tout d’abord, de quoi parle-t-on quand on parle de consentement ? En grec ancien (et moderne), consentir se dit « Symphono » qui a donné le mot symphonie (Sym ensemble phono, la voix). Si on avait gardé le même esprit et forme de la lettre, au lieu de demander « étiez-vous consentante pour ce rapport sexuel ? » on dirait : Avez-vous fait l’amour en symphonie ? Et l’on verrait que beaucoup de soi-disantes relations sexuelles ne sont finalement que des rapports sexuels plus ou moins consentis.
Le terme français vient lui du latin : « Consentire » signifiant « être d’accord », dont l’utilisation d’origine, apparue en France au Xème siècle, était uniquement commerciale ou contractuelle. Formule devenue désuète sauf en droit, et qui perdure encore sous sa forme « consentez-vous à prendre pour époux… » qui est, de fait, l’acceptation d’un contrat. Dans le cas du mariage, la question est posée à chacun l’un après l’autre et chacun peut y renoncer pour lui-même, et cette question renvoie aux droits et devoirs qu’entraînent le mariage (pour le meilleur et pour le pire) et n’a rien à voir ni avec la sexualité ni avec l’amour.
La notion de consentement est apparue également en médecine (journal officiel de 2004) à propos de l’obligation faite aux médecins, de recueillir le consentement du malade quand aux soins ou interventions proposées. En droit de la santé, il y a obligation de rechercher le consentement. Rien n’indique qu’il doit être obtenu. C’est donc la démarche d’informer qui s’impose, contrairement à une signature vite fait. Mais même dans ce cas qui parait simple, peut-on parler de consentement plein et éclairé puisque l’on n’est pas soi-même médecin et qu’on ne peut savoir quelles seront toutes les conséquences de son consentement. On voit donc qu’il y a toujours un déséquilibre entre celui qui propose et celui qui consent.
Pour le dictionnaire de l’Académie française, « consentement » désigne à la fois, l’« assentiment donné à une affirmation », l’« adhésion d’une partie à la proposition de l’autre » et l’« accord donné à une décision qui relève de l’initiative d’autrui ».
La notion de consentement suppose donc une flèche orientée dans un seul sens : l’un qui propose, veut, désire, demande, exige, et l’autre qui refuse ou consent. Exemple : Votre fille de 15 ans vous demande à sortir en boîte avec des copines. C’est elle qui le demande (qui le désire, le souhaite, en a envie) pas vous. Alors, bien que ça ne vous emballe pas, vous consentez à la laisser aller en boîte parce que vous pensez qu’elle a droit à son âge, à un peu de liberté. Et pourtant, si vous le pouviez, vous préféreriez qu’elle n’y aille pas. Et vous passez un contrat (verbal) avec elle (tu m’appelles, tu ne bois pas trop, tu rentres à telle heure etc.)
On voit donc que consentir c’est accepter la demande de l’autre, ce n’est jamais la demande des deux sinon la notion de consentement n’a plus de sens. On ne consent pas ensemble ! Si je m’approche de vous pour tenter de vous embrasser sur la bouche, vous pouvez consentir à ce baiser, mais il n’est jamais question de mon consentement à vous embrasser, puisque je suis l’auteur de la demande.
Le consentement, quand il ne fait pas l’objet d’un contrat explicite, peut prendre la forme d’un geste (un acquiescement) ou d’un comportement – comme parfois dans le fait de ne rien faire au lieu de s’opposer, de rester au lieu de fuir. Tacite et ambigu, le consentement court souvent le risque de ne pas être reconnu, comme d’ailleurs le non-consentement quand il n’est pas manifeste : ne dit-on pas « Qui ne dit mot consent »?
Pour conclure on voit que l’idée de consentement est toute entière articulée autour de la notion de contrat explicite ou tacite.
Qu’en est-il alors du consentement sexuel ?
Dans le cadre de rapports sexuels, on ne peut parler de la notion de consentement sans parler de la notion de désir. Pour qu’il y ait rapport sexuel entre deux personnes, il faut qu’il y en ait au moins un (on y reviendra) qui désire. Le désir est même le moteur de la sexualité, et le désir est d’abord de l’ordre du biologique.
Désir – Étymologie : vient du verbe latin « desiderare » (absence d’étoiles) le contraire de « considerare » (regarder les étoiles). Le désir ne sait jamais où il va, il n’a pas « d’étoiles » pour le guider. Considérer le désir est donc un oxymore !
Concernant donc le terme « consentement sexuel», internationalement, dans le droit, la notion la plus employée est celle « d’âge de consentement ». En dehors de cette notion d’âge le terme n’apparaît pas dans les lois.
On définit cet âge de consentement avec discernement comme l’âge minimum que doit avoir une personne pour avoir des relations sexuelles de son plein gré avec un majeur. Ou plus exactement l’âge que doit avoir le ou la partenaire si l’on est soi même majeur. En France, 15 ans si le majeur n’a pas autorité sur le mineur, sinon 18 ans. Avant 15 ans (ou 18 ans selon le cas) le consentement du mineur n’est pas réputé valide, même s’il en exprime le désir et même s’il est à l’initiative de l’acte. Le majeur risque 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende. Plus récemment, la loi du 21 avril 2021 fixe un âge de 15 ans en dessous duquel il ne peut y avoir consentement avec un adulte à partir du moment où la différence d’âge dépasse cinq ans.Or, les dernières affaires juridiques nous ont montré que pour les juges cette toute simple position fait encore débat. (Garçon de 22 ans relaxé en 2020 qui avait des rapports consentis avec une fille de 11 ans).
On conçoit, qu’en droit, juger de l’abus sexuel (au sens large) ne peut prendre d’autre instrument de mesure que le « consentement » exprimé ou tacite de l’un des deux partenaires (sauf dans le cas de l’âge ou de la vulnérabilité). Donc, pour conclure cette partie : oui, la question du consentement est un outil juridique très utile, pour les juges… en termes de droit. Mais même en droit il est quelquefois très difficile de juger du niveau de consentement.
Extrait d’un article de journal d’un grand quotidien en mai 2022 ou un homme est accusé de viol : M. (une jeune femme) dit avoir rencontré un homme A. fin 2009. En avril 2010, A. aurait commencé à la draguer par SMS de façon insistante. Après avoir décliné plusieurs invitations, elle accepte de le revoir en janvier 2011 chez lui ( neuf mois plus tard donc). Ce soir-là, la jeune femme aurait répété plusieurs fois « boire peu », mais l’homme aurait insisté et ils auraient bu une bouteille de champagne entière. M. décrit ensuite une relation sexuelle empreinte d’irrespect, d’injonction et d’insistance qu’elle dit avoir tenté interrompre avec des « sous-entendus ».
Je vous laisse vous mettre à la place du juge pour juger du consentement. Comment un refus de drague se traduit-il par un rendez-vous consenti chez le harceleur au bout de neuf mois ? Comment un refus de boire se traduit-il par une demi-bouteille de champagne ? Comment cela se termine-t-il dans une chambre, s’il n’y eu ni surprise, ni violence ni contrainte ?
Article du 22 juin dans le parisien : Une femme gynécologue (devenue -très peu de temps- secrétaire d’état en charge de la francophonie) est accusée de viols par deux autre femmes pour pénétrations vaginales dans le cadre d’un examen gynécologique sans le consentement des patientes.
On est en droit, dans ces deux affaires, de se demander si la notion de consentement ne fait pas l’objet d’un instrumentalisation (politique dans ces deux cas).
Quelle différence alors entre « consentement » et « relation » en ce qui concerne la sexualité ?
Penser qu’une relation sexuelle doit être consentie, nous l’avons vu, c’est donc supposer que l’un des deux (et l’on devine qui est ce « un » des deux) que l’un des deux donc, veut, désire, souhaite, a envie, et que l’autre, finalement, accepte ou refuse.
Vidéo de la tasse de thé : https://YouTube.be/yj5NcMew6qc
Pour reprendre l’exemple de la vidéo sur la tasse de thé, qui n’est pas du tout ma tasse de thé, personne ne consent à boire du thé ! Ce n’est pas un contrat.
Veux-tu une tasse de thé ? Oui je veux bien ! C’est une bonne idée oui, finalement j’en ai envie… Où bien, non je n’ai pas envie de thé, j’aimerai mieux un café… ou bien, non rien, ça va, merci.
Et comment imaginer sauf à prendre les gens pour des idiots, (même un enfant de huit ans ne tombera pas dans le piège) que si vous refusez ma proposition d’une tasse de thé je pourrais vous la faire boire de force ! Pire : si vous êtes inconscient, « je ne dois pas vous forcer à boire du thé ! » À qui viendrait l’idée de faire boire du thé à quelqu’un d’évanoui !!!) Donc l’animation nous dit, puisque vous ne forceriez pas une personne à boire du thé si elle n’en veut pas, ou s’il est inconsciente, vous ne devez par la forcer à avoir une relation sexuelle si elle n’en veut pas ou si elle est évanouie !
La première erreur de cette métaphore est donc de placer la sexualité à l’intérieur d’un schéma de demande qui serait toujours déséquilibrée, déséquilibre largement repris dans tous les clichés sur le fait que les hommes auraient envie quand les femmes acceptent.
La seconde erreur, et c’est la plus grave du point de vue éducatif, c’est de mettre sur le même plan l’envie d’offrir une tasse de thé et le désir sexuel. C’est de mettre sur le même plan une offre (je t’offre une tasse de thé) et une demande (je veux coucher avec toi !) C’est considérer que « proposer du thé à quelqu’un » relèverait du désir pour celui qui propose ! Si je vous offre du thé, j’ai juste envie de vous faire plaisir. Mon désir n’est en aucun cas convoqué ! Quand on répond à ma proposition d’une tasse de thé par : non, merci, je n’en ai pas envie ! cela ne mobilise pas mon égo, mon être. Ce n’est pas moi que l’on refuse, c’est ma tasse de thé, cela ne m’enlève donc rien, cela ne dit rien de moi. Encore que, si votre maman a passé toute sa matinée à préparer un plat et que vous n’en voulez pas, elle va ressentir une vraie frustration et, si vous êtes trop petit ou trop gentil, pour refuser elle peut vous forcer à « goûte au moins avant de dire que tu n’en veux pas ! ». Mais bon, même si elle insiste, vivriez-vous cela comme une agression ?
Si, par contre, en face de mon désir sexuel vis-à-vis de quelqu’un, je reçois une réponse négative, cette réponse signifie : Je n’ai pas envie de toi, je ne te désire pas, tu ne me plais pas, tu ne provoques en moi aucun désir ! C’est donc MOI que l’on refuse et non pas ma proposition. C’est moi qui ne suis pas désirable et c’est toute la différence ! Tous ceux qui se sont intéressés de près au désir vont même vous dire que ce refus ne le fait pas disparaître, souvent, bien au contraire, il l’amplifie ! On ne désire vraiment que ce qui n’est pas accessible. On en revient à l’étymologie du terme désir.
Donc, dire aux jeunes que l’on doit s’assurer du consentement de l’autre dans une relation amoureuse (ce qui se fait maintenant quasi systématiquement dans le cadre de l’éducation à la sexualité) c’est aller à l’encontre total de ce qui fait le jeu amoureux : je voudrais bien mais je ne sais pas si elle (lui) veut… et quand… et jusqu’où… et comment … et pourquoi… Devrions-nous espérer que, lors d’une rencontre, la première question posée devait être : avant de commencer mon jeu de séduction, je te précise que je désire faire l’amour avec toi, es-tu d’accord, peux-tu le mettre par écrit ? Devrions-nous rêver d’une application du ministère de la justice sur Smartphone qui listerait chaque étape – un sourire, un « date », un texto, une caresse sur le bras, un baiser sur le front, des « nudes », un baiser sur les lèvres, avec la langue, une main dans le corsage, dans le slip, une caresse sur les seins, sur les fesses, un déshabillage complet, un cunnilingus, une fellation, une pénétration vaginale, une sodomie, une paire de menottes, une partie à trois – et demanderait aux « amoureux » de valider chaque étape de leur activité sexuelle avec envoi systématique à la préfecture de police pour prouver qu’il y a eu consentement à chaque étape ? Et même si cela existait, on pourrait toujours rétorquer, après coup, qu’à bien y réfléchir, je n’étais pas vraiment d’accord mais je n’ai pas su refuser !
Alors que faire pour combattre les violences à caractère sexuel ?
Le CRéDAVIS travaille depuis quinze ans à la reconnaissance de la dimension sexuelle des usagers du secteur médicosocial et à la lutte contre les violences sexuelles. À ce titre nous sommes très souvent confrontés à des questions limites concernant le consentement. Et comme souvent, c’est dans l’examen de ces conditions limites que l’on trouve des éclairages des réalités humaines communes.
Je prendrai comme exemple une situation vécue dans un Foyer d’accueil médicalisé. Anne, jeune femme autiste déficitaire (sans accès au langage) et plutôt jolie (selon nos critères) se voit abordée par un autre résident avec une déficience légère. Ce dernier lui tient les épaules, lui caresse le dos puis glisse doucement une main entre ses cuisses. L’éducatrice présente observe la situation et voit Anne se rétracter. Elle intervient donc et demande à Anne si cela lui plaît. Bien que sans verbalisation, Anne comprend très bien ce type de question et fait un mouvement de tête signifiant clairement « non !». L’éducatrice demande alors au résident de ne plus l’importuner.
Quelques semaines plus tard, la même situation se répète mais avec un autre résident présentant lui aussi un syndrome autistique mais avec langage. Anne se rétracte de la même façon et l’éducatrice lui repose la même question : est-ce que ça te plaît ?. Elle obtient alors une réponse en forme de « oui » (hochement de tête) avec un sourire. La question de cette éducatrice était : Comment savoir si elle est vraiment d’accord ? Si, au lieu de se rétracter dans les deux cas, elle avait montré une posture d’ouverture, comment savoir si elle voulait réellement cette relation ?
Si l’on prend le droit comme seul appui on se rend très vite compte que la situation est particulièrement difficile. Que dit la loi ? En droit, l’absence de consentement valide ne signifie pas nécessairement que la victime a explicitement refusé de donner son consentement. Mais les textes et la jurisprudence montrent que le consentement est réputé invalide (…) lorsqu’il a été obtenu d’une personne mentalement déficiente ou vulnérable.
En face de cette réalité juridique, l’éducatrice aurait pu considérer qu’Anne ne peut, du fait de sa déficience, donner son consentement. La traduction de la Loi dans la pratique devrait donc obliger les professionnels responsables de l’accompagnement à interdire purement et simplement toute relation sexuelle (et même toute tentative) avec une personne mentalement déficiente puisque celle-ci est réputée ne pas être en capacité de donner son consentement. Si l’auteur est une personne sans déficience mentale l’acte sera qualifié de « viol aggravé» ; si l’auteur est lui même en état de déficience mentale, on ne pourra en déduire automatiquement la conscience de l’agression, et la jurisprudence, jusqu’alors, montrait que les plaintes déposées dans ces conditions étaient classées sans suite bien que cette réalité ait évolué ces dernières années.
On voit donc toute la contradiction, la tension, le dilemme même, entre une volonté de reconnaître aux personnes le droit à une vie sexuelle et une loi sur le consentement qui de fait l’interdirait. Mais, au-delà même de la loi, la préoccupation de bientraitance des professionnels est elle-même mise à mal. Car la préoccupation de protection des personnes vulnérables par les professionnels se heurte elle aussi à la volonté de bientraitance qui voudrait ne pas interdire aux personnes l’accès au plaisir sexuel tout en s’assurant qu’elles sont en capacité d’en exprimer le désir.
Que nous apprend donc cette situation ? D’abord que la loi est un cadre et seulement un cadre – nécessaire mais non suffisant. Et que la nature humaine ne peut être enfermée toute entière dans ce cadre. Dans cette situation particulière, seule l’éthique peut éclairer, autant que faire se peut, la position a adopter et avec beaucoup d’humilité et de modestie.
Alors, si le consentement ne peut être la seule mesure des relations humaines que doit-on considérer ?
Tout d’abord, et à la différence du consentement, la notion de relation (sexuelle), elle, suppose une flèche à double sens, avec réciprocité. Dans les relations humaines, amicales, affectives, filiales, amoureuses, érotiques, sexuelles, toutes en fait, ce dont il devrait être question c’est de relation, pas de consentement ! Souhaiteriez-vous que vos parents « consentent » à vous aimer ? En conséquence on ne devrait jamais, en aucun cas, consentir à une relation sexuelle, sauf dans le cadre d’un contrat, la prostitution par exemple. (Encore que même dans ce cas, la personne qui se livre à la prostitution peut très bien être en position de le désirer, le vouloir, le rechercher. C’est même la forme de prostitution qui ne devrait faire l’objet d’aucune réprobation, ni légale, ni morale, ni éthique.)
Ramener une relation de désir à un problème de consentement, c’est renforcer l’idée d’un déséquilibre entre les femmes et les hommes et c’est donner aux relations humaines un caractère contractuel, et donc, finalement, s’orienter vers une judiciarisation des rapports humains. Et l’on voit que s’engouffrer dans la judiciarisation peut aboutir à des situations ubuesques :
Une histoire racontée par Marcella Yacoub, juriste et essayiste dans « Antimanuel d’éducation sexuelle » est celle d’un jeune homme de 23 ans condamné pour agression sexuelle aux USA parce qu’il entretenait des relations sexuelles consenties avec sa copine de 17 ans (ce qui était légal). Suite à la plainte des parents de la jeune femme, il a été condamné au prétexte que cette dernière étant « amoureuse de lui » (rapport d’expert en neurologie) elle ne pouvait donner son consentement éclairé ! L’amour rend aveugle ! Ne faites jamais l’amour avec une personne amoureuse de vous, c’est un abus !
De plus, la réalité des relations humaines fait que, même si on partage cette idée d’un désir commun et réciproque comme étant « la marque d’une relation de qualité », les désirs ne sont pas toujours parfaitement accordés, ni dans le temps, ni dans leur nature. Qui, s’il est honnête avec lui-même, homme comme femme, n’a pas au moins une fois dans sa vie « consenti » à une relation sexuelle qu’il ne désirait pas au départ. Il arrive même régulièrement que l’un des d’eux exprime un désir sexuel non partagé (à ce moment-là) que l’autre ne refuse pas vraiment (il consent) – et qui devient quelque fois son désir à lui aussi par le simple fait du plaisir qui en découle (ou pas !).
Et comment juger du consentement si l’on est en présence de personnes vulnérables, ou dont la capacité de décision ou de discernement est réduite ?`
Un jugement de la cour d’appel de Paris du 9 mars 2016 a cassé le licenciement pour faute grave d’une psychologue d’un EHPAD. Cette dernière, voyant que deux résidents, un homme et une femme, se livraient à un rapprochement érotisé (ils n’étaient pas en couple), avait proposé au deux personnes de continuer dans la chambre d’un des deux. La femme souffrant d’Alzheimer, la direction ayant appris cet évènement, avait donc licencié, pour faute grave et sans indemnités, la psychologue puisque la femme n’était pas en mesure de donner son consentement (selon la direction). Les juges, ayant interrogé le, personnel qui a témoigné de la parfaite expression de satisfaction des deux personnes, ont statué que le manque de discernement ne valait pas absence de consentement ! La Cour introduit donc une notion fondamentale qui est la distinction entre le consentement et le discernement. En l’espèce, les juges considèrent que la manifestation de contentement de madame, que chaque témoin relate, suffit à considérer qu’elle discerne ce qui se passe et qu’elle n’oppose aucun refus. Pourtant, elle est juridiquement inapte à consentir.
On rétorquera que la culture machiste, l’éducation à la soumission des femmes les mettrait dans l’incapacité de refuser clairement. Elles seraient donc conditionnées à être des victimes. Si, malheureusement c’est souvent le cas, considérer qu’il ne peut en être autrement est, selon nous, une erreur manifeste de raisonnement. Cette façon de voir, loin de promouvoir la liberté des femmes et leurs capacités à ne pas se soumettre à un désir non partagé, les enferme dans leur statut de victimes et leur interdit tout accès à la responsabilité. Elles sont de ce fait considérées par certains mouvements féministes comme des mineures. Mais comment exprimer son refus si on a été éduquée depuis l’enfance à obéir, à ne pas s’opposer.
Conclusion
Plutôt que de se focaliser sur cette notion de consentement dont on a vu toute la complexité et ses limites, si l’on se tournait d’abord vers une éducation à l’autonomie en général et à la capacité à choisir, à s’autodéterminer? Il est donc tout à fait opportun d’apprendre aux personnes à reconnaître leurs désirs (ou son absence), de leur apprendre à dire « non », à refuser clairement, à ne pas se laisser intimider.
Et, en ce qui concerne les garçons ou les hommes peu respectueux, si l’on se tournait vers une éducation à la séduction.
Dans un foyer d’accueil pour adultes avec handicap psychique (Foyer Marie Laurençin – Oeuvre Falret – Paris), l’équipe était confrontée au comportement tout à fait inappropriés (gestuel et verbal) sur le plan sexuel, d’un jeune homme qui avait dans son dossier des signalements de comportements déviants dans des institutions précédentes. Après s’être tournés vers le psychiatre, après délivrance d’un traitement censé faire baisser la libido, et en l’absence de résultats, deux éducatrices et un éducateur ont proposé des entretiens au jeune homme en lui expliquant (plutôt qu’en lui rappelant la notion de consentement) que son attitude était inappropriée car il n’obtiendrait jamais de réponses positives de la part des femmes en se conduisant de la sorte. Il lui ont donc proposé de lui apprendre « comment on drague ! » En lui disant, entre autre, que vu son long et lourd parcours institutionnel, il était normal qu’il n’ait jamais appris.
Après un an environ, non seulement le jeune homme a abandonné ses comportements problématiques mais il a commencé à prendre soin de lui et de son image. Le plus marquant dans cette approche, c’est que ces troubles psychiques ont diminué et qu’il vit à ce jour en appartement ce qui était impensable à l’époque.
Plutôt que d’être uniquement dans un combat (très utile au niveau juridique) contre les violences, pourquoi de pas expliquer aux garçons et aux filles, aux hommes comme aux femmes, que le plaisir sexuel est décuplé quand il est réellement partagé et qu’il s’inscrit dans une relation ?
Et pour aller plus loin encore, pourquoi n’existe-t-il pas une éducation à l’amour. Après tout, avoir un rapport sexuel se dit aussi : « Faire l’amour ». Et faire l’amour, faire de l’amour, n’est pas inné. En face de la vague pornographique contre laquelle nous ne pouvons quasi rien, (136 milliards de vidéos pornos sont consommées chaque année dans le monde) pourquoi pas une éducation à l’érotisme, qui est au sexe, ce que l’art culinaire est à la nourriture, au plaisir de l’attente, au flirt, à la mise en scène, à l’imaginaire.
Puisque, chez le petit humain, tout ou presque est affaire d’apprentissage… Comment se fait-il que l’on consacre tant d’énergie et de moyens à l’intellect avec l’école (15 ans, a minima), qu’on promeuve une éducation du corps avec le sport et les activités physiques mais qu’on ait aucun système d’éducation aux émotions, aux sentiments, au désir ? D’une certaine façon (très contestable mais qui avait le mérite d’exister) l’éducation religieuse tentait de s’en charger. Maintenant qu’elle a globalement disparue, pourquoi n’avons-nous rien mis en place pour la remplacer avec nos valeurs humanistes ?
Mieux encore, la meilleure des pédagogies étant l’imitation, comment transmettre les notions d’amour, de respect, d’empathie si ce n’est en étant soi-même un exemple vivant de ces valeurs.
Et comment transmettre toutes ces valeurs si, dans l’exercice de son métier d’accompagnant, on ne se sent pas soi-même, respecté, apprécié, soutenu, aidé, en un mot … aimé ?
Paris, 30 juin 2022